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Mon quatrième séjour à  Inukjuak, village inuit du Nunavik - Grand Nord du Québec

Aprés mes trois séjours en novembre 2017, mai et août-septembre 2018 à Inukjuak, je retourne pour 6 semaines dans ce village du Nunavik, ce vaste territoire le plus septentrional du Québec, grand comme l'Espagne, peuplé de seulement 11 000 Inuit répartis en 14 villages maritimes. À Inukjuak, vivent tant bien que mal près de 1700 familles inuites et quelques dizaines de Québécois du Sud employés dans les secteurs de la construction, de l'éducation, de la formation des adultes, de la santé, du travail social clinique ou communautaire, de la DPJ, etc. Je fais auparavant une escale de 5 jours à Kuujjuaq, la capitale du Nunavik Je reprends mes parutions pour continuer à échanger avec vous mes informations et mes questionnements sur les conditions et les modes de vie des Inuit, passés en 60 ans, du fait de la colonisation, d'un mode de vie ancestral nomade ou semi-nomade dans la toundra à la sédentarisation ; des questionnements nourris par mes observations, mes conversations - notamment avec ma compagne, travailleuse sociale communautaire à la Maison de la famille - ainsi que mes recherches sur internet et mes lectures. Et aussi pour partager avec vous la beauté de la toundra ! N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires et de vos critiques. Merci de votre attention. Jean-Pierre

LE KATAJJANUQ, LA PRATIQUE DU CHANT DE GORGE : UNE TRADITION QUI S'ACTUALISE... (Partie 2)

 

Le katajjaniq, pratique du chant de gorge, est recréé en permanence dans la communauté qui le porte et le transmet, tout en étant interprété en continuité avec une longue tradition orale encore bien vivante dans les communautés inuites du Nord-du-Québec qui le considèrent comme un symbole identitaire. Au Nunavik, les filles observent et imitent encore les gestes et les sons caractéristiques du katajjaniq que pratiquent les femmes de leur communauté. De génération en génération, les femmes se transmettent des connaissances sur la nature et l'environnement qui sont associées aux jeux de productions sonores. Les techniques vocales sont aussi des savoir-faire transmis d'une personne à une autre, de maître à apprentie. Le tout forme un répertoire de chants de gorge qui est partagé dans l'ensemble des 14 communautés du Nunavik.

De manière générale, le chant de gorge s'apprend et se transmet en bas âge, par contact direct avec la chanteuse, généralement lorsque l'enfant est installé dans l'amauti, parka – peau en inuktitut - traditionnel féminin avec capuche. Bien qu'à l'âge adulte, ce soit essentiellement des femmes qui pratiquent les chants de gorge, les garçons y sont tout de même exposés durant l'enfance, notamment lorsque leur mère les exécute pour calmer ou endormir les petits. En plus de se transmettre au sein de la cellule familiale et de la communauté immédiate, le chant de gorge se partage entre communautés inuites lors de compétitions ou de rencontres plus ou moins formelles.

Aujourd'hui, la pratique du chant de gorge inuit sort des frontières géopolitiques du Nunavik et se développe dans la sphère publique. Certaines femmes porteuses de tradition, montant sur scène et participant à différents festivals, explorent de nouvelles formes d'expression et s'adonnent au métissage des genres musicaux.
En plus des cours qui sont offerts par les municipalités nordiques ou dans certains établissements d'enseignement au Nunavik, Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle grandissant dans l'acquisition et le perfectionnement individuels des connaissances et des savoir-faire associés au katajjaniq : les Inuit y trouvent de l'information et différentes sources d'inspiration. D'autres moyens sont mis en oeuvre pour exposer au monde les particularités du chant de gorge, dont la vente et la mise en ligne d'enregistrements. De plus, des événements sont organisés pour favoriser la discussion et le partage de techniques, par exemple le colloque dédié à la pratique du chant de gorge, qui s'est tenu à Puvirnituq, au Nunavik, en 2001. Il a réuni environ 80 interprètes provenant de diverses régions nordiques.

Nous sommes en présence d'une tradition qui s'actualise, témoignant que la culture inuite n'est pas figée dans un passé révolu, mais qu'elle est bien vivante.

Au risque de choquer les tenants de la «pureté» des traditions, les expériences de métissages musicaux me semblent intéressantes et prometteuses. Pourquoi le chant de gorge et la musique inuite ne pourraient-ils pas nourrir et se nourrir des autres musiques du monde ?

Pour exemples :

1. Dans cette émission de RCI (Radio-Canada-Internationale) «Musique du monde : quand le chant de gorge inuit rencontre la musique celtique. Kathleen Merritt, Ivaluarjuk, Inuit de Rankin Inlet – sa mère est Inuit – qui a vécu à l’île du Cap-Breton en Nouvelle-Écosse – coin d’origine de son père -, berceau de la culture celte au Canada, nous présente son tout premier disque, Ice, Lines & Sealskin (Trad. : glace, lignes de pêche et peau de phoque), un disque où la musique celtique rencontre le chant de gorge inuit1.

2. Sophie Stévance, en 2015, dans une étude savante2 écrit «La chanteuse inuit Tanya Tagaq3, qui pratique une forme de chant de gorge (katajjaq) dans un contexte de musique pop-électronique, nous semble particulièrement représentative de toute une génération d’artistes autochtones. Comme Tagaq, des artistes comme Lucie Idlout, Elisapie Isaac ou Celina Kalluk, dépassent volontiers leur aire culturelle pour se nourrir d’influences diverses afin d’intégrer leurs créations à la production artistique transnationale. Quels aspects spécifiques de la pratique artistique de Tagaq relèvent, d’une part, d’une pratique plus traditionnelle et, d’autre part, d’une pratique contemporaine ? Comment ce dialogue se manifeste-t-il dans les prestations scéniques de la chanteuse ? Pour mieux comprendre le comportement esthétique de Tagaq, nous tiendrons tout d’abord compte de la manière dont elle construit ses improvisations sur la base du katajjaq traditionnel et de codes culturels et musicaux occidentaux. Une fois observés, ces éléments nous parlent de la construction identitaire de la jeune génération autochtone, dont la création multidisciplinaire et transnationale nourrit et reflète ce mouvement volontaire, non pas d’une quête, mais d’une conquête d’un nouvel équilibre culturel.»

Tanya Tagaq Gillis s'est produite au Festival de Jazz de Montréal l'an passé. Le journal français Libération rapporte «Puissant, bordé d’arrangements électroniques, de batterie, de guitare et de violon, le chant de Tanya Tagaq nous aura transportés en Arctique (…) Improvisant autour de son dernier album, Retribution, paru en octobre, sa gorge était pareille à une grotte renfermant un monstre organique, animal et trop humain, glissant du rire aux larmes, de la souffrance au plaisir. Rien d’étonnant à ce que l’Islandaise Björk ait fondu pour Tanya Tagaq elle aussi, en l’invitant sur son album et sa tournée Medúlla en 2004. Agée de 42 ans et désormais installée à Toronto, Tanya Tagaq a remporté le Polaris Music Prize en 2014 pour son album Animism, et n’a jamais eu de cesse de défendre les droits des Premières Nations, peuples autochtones du Canada (…).

Quand on lui demande comment elle en est venue à la musique électro, sa réponse est la même que pour beaucoup de musiciens contemporains : «C’était les années 90, et j’allais en raves parties !»

Elle admet que sa famille et sa communauté trouvent sa musique un peu étrange, mais qu’elle veut justement exploser le stéréotype de ce que devrait être un indigène, à l’intérieur et à l’extérieur de ses terres : «Pourquoi, en tant qu’Inuk, ne pourrais-je pas faire un film d’horreur, être chanteuse de heavy metal, faire de la pornographie ou être un docteur ?» interroge-t-elle4.
 

3. Les Jerry Cans (Inuktitut: Ga ᒑᓚᖃᐅᑎᒃᑯᑦ, Pai Gaalaqautikkut) sont un groupe d'Iqaluit, au Nunavut, qui combine le chant de gorge traditionnel inuit avec de la musique folk et de la musique country. Leur musique est en grande partie écrite en inuktitut, la langue autochtone du peuple inuit, avec des paroles qui «reflètent les défis et la beauté de la vie dans le Grand Nord». [1] Leur album de 2016, Inuusiq / Life, est sorti sur Aakuluk Music, le premier label de disques du Nunavut, que les membres du groupe ont créé en 2016 «pour soutenir les musiciens inuits et autochtones» [2].

Discographie : Nunavuttitut (ᓄᓇᕗᑦᑎᑐᑦ) (2012) / Aakuluk (ᐋᑯᓗᒃ) (2014)/ Inuusiq / Life (ᐃᓅᓯᖅ) (2016)

Le groupe a participé en mars 2018 au Juno Awards et ils donneront un concert le 7 juillet dans le cadre du Festival internationale de jazz de Montréal5.


 

En guise de conclusion

Ces artistes cherchent des manières d'intégrer des éléments de musique locale, fortement traditionnels tels le chant de gorge à des éléments de musique occidentale comme les outils technologiques et au-delà de la musique, ils incarnent à mes yeux un des défis majeurs de la recherche d'un nouvel équilibre anthropologique entre le particulier et le global, entre l'enracinement et la mobilité, entre l'individuel et le collectif, entre l'entre-soi communautaire et l'ouverture à l'étranger...

2 «Les performances d’improvisation de Tanya Tagaq : une analyse descriptive de la culture ethno-pop», décembre 2015 ; lien ttps://journals.openedition.org/itineraires/2765

3 Tanya Tagaq Gillis née en 1975 à Cambridge Bay, dans le territoire Nunavut (au-dessus du Nunavik jusqu'au pôle nord), capitale Iqalit

5The Jerry Cans / Ukuiq / Juno Awards 25 mars 2018 Uhttp://www.cbc.ca/player/play/1194828355857/

The Jerry Cans, Iqalit https://www.youtube.com/watch?v=rShYJF_FYdU

Vidéo intéressante sur les paysages et des aspects de la vie au Nunavut.


 

1. The Jerry Cans / 2.  Ivaluarjuk Kathleen Meritt, 3 et  4. Tanya Tagag
1. The Jerry Cans / 2.  Ivaluarjuk Kathleen Meritt, 3 et  4. Tanya Tagag
1. The Jerry Cans / 2.  Ivaluarjuk Kathleen Meritt, 3 et  4. Tanya Tagag
1. The Jerry Cans / 2.  Ivaluarjuk Kathleen Meritt, 3 et  4. Tanya Tagag

1. The Jerry Cans / 2. Ivaluarjuk Kathleen Meritt, 3 et 4. Tanya Tagag

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