18 Novembre 2017
Pardonnez ce titre accrocheur !
Soleil resplendissant ce matin, pas d'hésitations, je relègue mon projet d'écrire sur l'histoire du peuple Inuit pour mon blog et celui d'avancer la révision du roman-récit que ma fille est en train d'écrire, pour sauter dans mes bottes et affronter les – 31 en ressenti1.
Je reprends la direction de la balade du km 142 que nous avions dû abonner dimanche passé en raison d'un blizzard inattendu et tellement épais que nous ne voyions plus à 30 m et qu'en moins d'un quart d'heure, toute trace de la piste aurait disparue.
Mais ce matin, l'air est sec, métallique presque, les crêtes se dessinent avec netteté. Je retrouve cette sensation des premières respirations d'air froid que j'apprécie à chaque fois que je skie lorsque la température est sous les – 20. Un plaisir qui ne convainc pas mes amis français !
Je suis un peu ému d'apercevoir loin sur ma droite, les palissades du petit cimetière déjà vu de près, mais sous un blizzard très soutenu.
Le vent vient de la baie et c'est vrai que le premier quart d'heure mes joues picotent et mes yeux pleurent, mais par chance je vais avancer avec le vent dans le dos.
La marche est facile sur ce plateau en faux plat. La piste de gravier s'estompe jusqu'à disparaître sous des bancs de neige, je me guide en suivant les traces des ski-doos. Je constate que le froid a commencé à durcir la neige en surface et que je ne m'enfonce plus comme lors de ma «balade - rencontre avec l'ours» sic ! Me revient que les nomades Inuit n'utilisaient pas beaucoup leurs raquettes3 puisqu'ils réalisaient l'essentiel de leurs trajets à pied en hiver sur la mer gelée et sur la toundra, où la neige ne s'entasse pas profondément.
Je suis étonné de voir trois croix qui émergent au milieu d'un petit amas de cailloux. Pourquoi ces tombes ici, loin du cimetière d'Inukjuak ?
De nombreuses traces de petites pattes dans la neige, que je suis incapable d'attribuer à quelque animal que ce soit... Je prends en photo un Inukshuk, simplement composé de deux lourds rochers empilés, simple cairn de direction.
Je me demande où les amis qallunaats avaient prévu lors de ma première fin de semaine à Inukjuak de planter leur tente pour y passer la nuit, enfants compris ! Nous les avions croisés en quads en train de transporter des palettes de bois pour faire leur feu, mais la tempête avait eu raison de leur témérité.
Plus de pistes, plus de traces de ski-doo, vais-je à droite, vais-je à gauche ? Sans raison aucune, j'opte pour la voie de gauche, et je retrouve vite les traces d'un ski-doo, mais qui, un peu plus loin, décrivent une boucle de demi-tour. En contre-bas, une cuvette qui, sous la neige, pourrait être un petit lac. Les lacs foisonnent sur tout le territoire du Nunavik. Je ne m'y aventurerai pas, la couche de glace pouvant être encore fine en ce début d'hiver et je ne vois ni rails de ski-doo ni pas d'homme. Je contemple et goûte la profondeur du silence. Le soleil de 11 heures n'est pas bien haut au-dessus de la colline.
Un bruit de moteur... Je n'apercevrais ce ski-doo à l'arrêt qu'en remontant et je décide d'aller à la rencontre des deux passagers. Pause cigarette pour le père accompagné de son fils d'une dizaine d'années. Je ne peux m'empêcher de penser que vendredi est un jour d'école, mais j'entends le contre argument «culturaliste», ouais, mais, c'est important la transmission des coutumes ancestrales ! Et puis la scolarisation a été imposée par les blancs... vaste débat que je relègue pour l'instant pour vivre pleinement le moment présent.
Je suis accueilli par un large et beau sourire du papa, le fiston est plus réservé. Étant donné mon piètre niveau d'anglais, les échanges ne dépassent pas les civilités de présentation, le beau temps du jour... jusqu'à ce que le père me montre des traces de pattes d'un animal de petite taille près de nous, et les tracés en amont et en aval. Comme je ne comprends pas le nom anglais de l'animal, il le dessine dans la neige, par deux fois ! Je ne prends pas grand risque en avançant qu'il s'agit d'une belette, car ce petit animal est très répandu dans la forêt boréale et la toundra, en oubliant que son nom est ici hermine, que nous associons forcément à la couleur blanche qu'elle revêt en hiver pour se protéger des prédateurs, n'est-ce pas Darwin ?
À sa question sur la suite de ma balade, je lui fais part de ma crainte de marcher sur le lac... Il m'assure en partant d'un rire fort bruyant qu'il n'y a que quelques centimètres d'eau tout au plus et donc aucun danger... et, sans doute, pour m'en convaincre, il repart sur son engin avec son fils qui tend le bras comme en signe d'au revoir, et s'en va rouler à vive allure sur ce que j'ai craint être un profond lac glacé, puis il décrit une superbe boucle pour disparaître en direction du village.
Sur le chemin de mon retour, mes tentatives de marche méditative sont contrariées, entre autres, par la réminiscence de la chanson d'un barde breton des temps modernes, Gilles Servat, qui, en chantant «la blanche hermine», déclarait sa flamme à la Bretagne, avec des accents indépendantistes, présents aujourd'hui beaucoup plus au Sud de la péninsule bretonne, en Catalogne...
La vue paisible du paysage et du village au bord de la Baie recouvre vite toute nostalgie et me ramène à mon beau présent au Nunavik.
1Je précise pour mes amis français que c'est une température que nous connaissons à Montréal certains jours de janvier ou février, tandis qu'ici au Nunavik, avec le facteur vent, le thermomètre à cette période peut descendre en dessous de – 50.
2 point ultime de la route de gravier par rapport au village, atteignable à pied que les mois sans neige ; le village au nord d'Inukjuak, Puvirnituq est à près de 200 km à vol d'AIr Inuit, celui au Sud, Umiujaq à plus de 200, ceux d'Ungava à l'ouest donc de la péninsule du Nunavik, à plus de 400
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Raquette_%C3%A0_neige Les ethnographes estiment que les Inuit ont appris cet art de déplacement sur le tard auprès d'autres populations autochtones sur le continent. Les Imukjuamiut (habitants d'Inukjuak) n'en possèdent pas,