Aprés mes trois séjours en novembre 2017, mai et août-septembre 2018 à Inukjuak, je retourne pour 6 semaines dans ce village du Nunavik, ce vaste territoire le plus septentrional du Québec, grand comme l'Espagne, peuplé de seulement 11 000 Inuit répartis en 14 villages maritimes. À Inukjuak, vivent tant bien que mal près de 1700 familles inuites et quelques dizaines de Québécois du Sud employés dans les secteurs de la construction, de l'éducation, de la formation des adultes, de la santé, du travail social clinique ou communautaire, de la DPJ, etc. Je fais auparavant une escale de 5 jours à Kuujjuaq, la capitale du Nunavik Je reprends mes parutions pour continuer à échanger avec vous mes informations et mes questionnements sur les conditions et les modes de vie des Inuit, passés en 60 ans, du fait de la colonisation, d'un mode de vie ancestral nomade ou semi-nomade dans la toundra à la sédentarisation ; des questionnements nourris par mes observations, mes conversations - notamment avec ma compagne, travailleuse sociale communautaire à la Maison de la famille - ainsi que mes recherches sur internet et mes lectures. Et aussi pour partager avec vous la beauté de la toundra ! N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires et de vos critiques. Merci de votre attention. Jean-Pierre
23 Janvier 2018
Nous savons maintenant que l'histoire de l'Amérique n'a pas commencé avec Christophe Colomb ni celle de l'Arctique avec les explorateurs !1
Des dizaines de millénaires avec les Inuit, les ancêtres des Indiens peuplent l'Amérique. À l'exception de l'Arctique.
Il y a au moins 40 000 ans, des groupes de chasseurs sibériens avaient franchi ce gigantesque pont de terre – le futur détroit de Béring - qui unissait alors la Sibérie à l’Alaska. Mais la couche de glace d’un kilomètre de haut qui recouvrait alors le nord de l’Amérique les a contraints à descendre vers le sud. Au cours des siècles, ces chasseurs nomades, lointains ancêtres donc des Indiens, explorent et occupent peu à peu les deux Amériques, jusqu’à la Terre de Feu.
À mesure que le glacier fond, les Indiens remontent vers le nord, mais ils ne dépassent pas la ligne des arbres, frontière naturelle séparant la taïga et la toundra. Au-delà, les rives de l’Arctique restent inhabitées jusque donc l'arrivée des Eskimos.
Les Esquimaux sont venus du nord-est de l'Asie voilà plus de 4500 ans
Les ancêtres des Inuit – appelés Esquimaux jusqu'aux années 70 de notre siècle – étaient des nomades par excellence. Originaires du N.E. de l'Asie, ils passèrent par le futur détroit de Béring il y a plus de 4500 ans pour aller peupler les côtes arctiques de la Sibérie, mais contrairement à tous leurs prédécesseurs, ils ne descendent pas vers le Sud, mais continuent vers l'Est, vers donc la toundra et la banquise, les terres les plus inhospitalières de la planète et s'y adaptent.
Tirant eux-mêmes leurs petits traîneaux puisqu’ils n’ont pas de chiens, ils se dispersent, sans jamais rencontrer un seul être humain, dans l’archipel du Haut-Arctique canadien jusqu’au Groenland.
À peine quelques milliers sur cet immense territoire, répartis en une ou deux douzaines de bandes chacune comprenant quelques centaines de personnes, ils vivent en familles isolées qui se rencontrent rarement, peut-être une fois ou deux par année, lorsque les animaux de l’Arctique, boeufs musqués, caribous, phoques, morses, etc. se rassemblent en d’énormes troupeaux pour leurs grandes migrations. Ils apprennent où et quand ils peuvent les surprendre et les abattre avec des arcs et des flèches.
Ils développent une culture remarquable dite The Arctic Small Tool, une façon totalement inconnue en Amérique de tailler les pierres avec un soin méticuleux pour en faire des outils de prédilection (tool) remarquablement fins.
Puis, il y a plus ou moins 3000 ans, le climat de l’Arctique se refroidit, les bœufs musqués disparaissent faute d'herbe, les routes migratoires des animaux se déplacent et les chasseurs, au cours des siècles qui suivent, quittent le Haut-Arctique et descendent vers le Sud
Les Dorsétiens2
De l’île de Baffin, les Dorsétiens passent au Québec, longent, à l’est, la baie d’Hudson (Nunavik actuel) jusqu’à la frontière des arbres (en dessous d'Inukjuak où j'ai séjourné), et à l’ouest, la côte du Labrador jusqu’à l’île de Terre-Neuve. Il y a 2 500 ans, ils occupent le centre de l’Arctique canadien et le nord du Groenland.
Ils abandonnent les arcs et les flèches, créent de nouveaux styles de harpons pour mieux chasser le phoque, le morse et le béluga, inventent des crampons pour marcher sur la glace, des patins de traîneaux en ivoire ou en os, de grands couteaux pour découper des blocs de neige.
Ils logent désormais dans de grandes maisons semi-souterraines en tourbe, bien isolées du froid, chauffées et éclairées en faisant brûler la graisse fondue de morses et de phoques dans des lampes qu’ils sculptent facilement dans la pierre à savon. Leur vie est tellement différente de celle de leurs ancêtres et c'est pourquoi on donne à ce peuple qui a réussi à dompter le froid le nom de Dorsétiens.
Les Dorsétiens sont des artistes nés qui sculptent dans l’ivoire ou la pierre à savon des panaches de caribous, des humains, des animaux de l’Arctique, et de mystérieux êtres en mutation entre les deux. L'art dorsétien se caractérise par des figurines animales et des masques humains miniaturisés. Mais, autour de l’an mille, les Dorsétiens commencent à sculpter de nouveaux visages : grands nez, sourcils épais, barbes fournies : ce sont leurs nouveaux voisins venus de l’est, les Vikings qui possèdent ce qu’il y a de plus précieux dans l’Arctique : du fer.
Les Vikings à la conquête de l'Arctique
Près de deux cents ans après avoir entrepris leurs voyages par les mers et les fleuves sur leurs célèbres drakkars partout en Europe et en Afrique du Nord, les Vikings fondent une colonie en 874 en Islande et c'est Éric le Rouge, guerrier intrépide, condamné à l'exil pour homicide, qui fonde une première colonie en 982 sur cette immense île couverte à 90 % de glace et qu'il nomme «Terre verte» pour mieux séduire de potentiels colons ! Cela étant dit, il n'attendit pas les volontaires, mais il alla les chercher directement en Islande en 986 (seuls 11 sur les 26 bateaux arrivèrent à bon port) pour les installer avec femmes et enfants pour cultiver le long des fjords du sud des céréales et y élever bovins, moutons et chèvres. Depuis l'an 900, le climat s'était beaucoup réchauffé (2 à 4 degrés plus chauds qu'aujourd'hui) faisant fondre la banquise plusieurs mois par année. D'autres colons – y compris des femmes seules désireuses de s'émanciper - suivirent partant directement de Scandinavie3.
Mais les marchands norvégiens n'ont que faire de ces viandes et de la laine, mais ils payent cher la défense des narvals (défense utilisée par les pharmaciens pour ses prétendues qualités médicinales et qui sont à l’origine du mythe de la licorne) et surtout, les défenses en ivoire des morses. En effet, l’ivoire des éléphants d'Afrique noire est inaccessible du fait de la présence des Arabes en Afrique du Nord alors qu'autour de l’an 1000 explose la demande d’oeuvres d’art en ivoire dans toute l’Europe. Les Vikings trouvent de gros troupeaux de morses sur la côte ouest du Groenland, et c’est probablement la raison pour laquelle ils y fondent une deuxième colonie, là où s’élève aujourd’hui Nuuk, la capitale du Groenland.
Les Vikings s’établissent quelques années au nord de Terre-Neuve, visitent l’île de Baffin et la côte du Labrador et rencontrent les Dorsétiens, avec qui ils échangent du fer contre des défenses de morse.
Mais le réchauffement de l’Arctique amènera, dans ces contrées, à partir de l'an 1000, un autre voisin, beaucoup plus menaçant pour les Dorsétiens, les Thuléens, venus de l’autre extrémité de l’Arctique, de l’Alaska. Ces Thuléens sont les ancêtres directs des Inuit du Canada d'aujourd'hui.
À suivre …
1L'anthropologue, Claude Lévy-Strauss, a théorisé la distinction entre sociétés froides et sociétés chaudes selon le rythme de leurs évolutions. Les sociétés inuites ont été des sociétés froides aussi dans ce sens jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle où les colonisateurs blancs leur ont imposé le passage de l'igloo à l'internet haut débit en une génération avec les dégâts que nous connaissons...
2 La culture de Dorset a été nommée et définie en 1925 par l'anthropologue Diamond Jenness, pour désigner un ensemble d'artefacts archéologiques provenant du cap Dorset, dans le Nunavut
3La civilisation viking – trop longtemps caricaturée et dénaturée – n'étant pas notre sujet, je renvoie mes lecteurs intéressés au remarquable site http://idavoll.e-monsite.com/ dédié à l'art, la culture et l'Histoire des Vikings. On y retrouve, entre autres vidéos, les passionnants documentaires diffusés par Planète + Femmes de Vikings 1 et 2 . Et pour mes amis normands – qui se souviennent que nous leur devons la fondation du Duché de Normandie en 911 – je recommande la lecture des recherches de Gilles Mauger sur «le vocabulaire normand d'origine scandinave» son site http://magene.pagesperso-orange.fr/secrets.html
1. Ours polaire (sculpture dorset) 2. Passage Asie / Amérique par le Détroit de Baffin 3. Limite des glaces il y a 40 000 ans 4. Masque en ivoire d'un des plus anciens habitants de l'Arctique - 3500 ans 5. Tête d'harpon 6. Boeufs musqués 7. Un visage dorsétien vers 1700 ac JC. 8. Masque dorset 9. Amulette en ivoire 10.Les voyages des Vikings 11. Pièces d'un jeu viking d'échecs en ivoire 12. L'actuel ligne des arbres.
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